Parce que, si accueillir et accompagner des personnes en difficulté était et reste nécessaire, cela ne suffit pas ; parce que, pour faire réagir la société, il faut ébranler ses fondements ; parce qu’il faut combattre la misère, mais surtout ses causes, l’abbé Pierre et l’ensemble du mouvement qu’il a fondé n’ont cessé de s’indigner, d’interpeller la société civile et les pouvoirs publics.
Elle commence un peu par hasard, par une rencontre improbable. Georges, un ancien bagnard aux tendances suicidaires, vient demander de l’aide à l’abbé Pierre.
La réponse est entrée dans la légende.
“Moi, je ne peux rien te donner. Mais toi, puisque tu veux mourir,
tu n’as rien qui t’embarrasse. Alors, est-ce que tu ne voudrais pas
me donner ton aide pour aider les autres ?”
Intuition géniale d’un homme révolté : ce qui peut manquer aux plus faibles, ce n’est pas seulement de quoi vivre, mais aussi et surtout une raison de vivre. Cette raison, ils peuvent la trouver en s’unissant pour venir en aide à plus démuni qu’eux. Cette vision bouscule la société : elle place la solidarité active bien au-dessus de la classique charité, qui “adoucit” l’ordre établi sans jamais le remettre en cause. Elle propose une aventure collective à ceux qui trop souvent n’ont connu que la solitude… Emmaüs est né. Depuis plus de 60 ans, l’aventure continue…
« Emmaüs, c’est une espèce de laboratoire ;
une fabrique de carburant social à base de récupération
d’hommes broyés.
Hommes que la vie a frappés, qui, isolés, ne sont plus qu’une poussière d’homme. Que peuvent-ils ? Seuls, c’est le désespoir. Rassemblés, réunis, remis debout, ils deviennent une force explosive. Que tous ceux qui sont puissants et constatent qu’ils ne peuvent pas faire grand-chose, osent regarder humblement cette formidable puissance qui, dans notre pauvre petite aventure d’Emmaüs, éclate soudain pour faire réapparaître l’espérance. Qu’ils découvrent la force qu’il y a dans la faiblesse. » (Abbé Pierre).
La publication d’un rapport de l’Office national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) fait réagir le président d’Emmaüs France.
« La crise, loin de se résorber, s’amplifie et s’intensifie.
La pauvreté s’enracine dans le pays : les revenus des plus pauvres ne cessent de baisser, quand ceux des plus aisés augmentent. Ces inégalités qui se creusent encore et toujours n’ont pas été corrigées par la redistribution fiscale et sociale – loin de là.
Autre constat : il est de plus en plus difficile de sortir de la pauvreté. Pour ceux que le rapport nomme les “actifs découragés”, il y a un risque réel de basculer définitivement – “l’irréversibilité”. Plus qu’une crise économique ou sociale, c’est une véritable crise du modèle économique actuel que nous subissons. Il faut ré-interroger le modèle économique dominant.
Un autre modèle, qui remet l’Homme au centre,
est possible et nécessaire.
Le secteur de l’économie sociale et solidaire, qui permet la redistribution et la création d’emplois plutôt que la concurrence et l’enrichissement de quelques uns, est à ce titre exemplaire…
En second lieu, il faut mettre à l’ordre du jour la redistribution des richesses, notamment par une réforme fiscale et la refonte des minimas sociaux.
Troisième point, il convient d’ouvrir l’accès aux droits pour les personnes les plus en difficulté – comme l’accès au logement pour tous, à la formation et à l’emploi pour ceux qui en sont les plus éloignés.
Enfin, il est nécessaire d’apporter davantage de soutien aux structures dont les réponses concrètes à ces questions ont fait leurs preuves. Comme le conclut le rapport de l’ONPES, la lutte contre la pauvreté et l’exclusion est aujourd’hui l’affaire de la “mobilisation de la société elle-même”, et non pas seulement de l’Etat ou de l’entreprise…
C’est une question de volonté politique, certes, mais également d’engagement de tous les acteurs de la société.
La grande force du mouvement Emmaüs, c’est son modèle économique, porté par le désir de solidarité, au service de l’humain et d’un projet social à qui il donne son indépendance. Ce modèle crée de la richesse économique et des emplois (+ 14 % de création d’emplois par an au sein du mouvement) et favorise le lien social et la solidarité. Il est donc possible de créer de l’activité en liant les personnes et non en les mettant en concurrence, en étant à l’écoute des besoins et des problématiques de chacun. »